Se mentir à soi ou mentir à l’autre : éthique du lien et mensonges subtils

Tu as déjà menti, moi aussi. On dit parfois que c’était « pour protéger l’autre », « pour ne pas faire de mal », ou simplement parce que « c’était plus simple comme ça ». Et pourtant… au fond, quelque chose en nous grince. Et si ce petit mensonge, même bien intentionné, était le début d’un malentendu beaucoup plus profond ?

Dans ma pratique de d’accompagnant des couples ouverts ou “libres”, des triades, des polycules, je reviens souvent à cette question : peut-on aimer sans jamais mentir ? Et surtout, faut-il absolument tout se dire ?

Le fantasme de la transparence

Dans le monde du polyamour et de la non-monogamie consensuelle, on croit souvent qu’il faut tout dire et tout montrer, comme si l’amour mature, c’était une transparence totale, sans zones d’ombre. Mais comme le dit joliment Charles Pépin dans son podcast, « il faudrait une journée entière pour raconter toute sa journée ». C’est impossible. On est toujours partiel, toujours un peu incomplet dans ce qu’on transmet. Parfois, on omet, on enjolive, on joue un rôle et on ment un peu.

Et ce n’est pas forcément mal.

L’art du « mentir-vrai »

Pépin parle d’un concept que je trouve magnifique : le mentir-vrai. Ce n’est pas le mensonge qui manipule. C’est celui qui exprime quelque chose de plus profond, de plus humain, de plus subjectif que la simple vérité factuelle. Quand je dis « je vais bien » alors que je suis bouleversé, mais que je n’ai ni la place, ni la force de m’ouvrir là-dessus, est-ce vraiment un mensonge ? Ou est-ce une pudeur qui dit ma vulnérabilité autrement ?

Dans les relations plurielles, on navigue souvent entre plusieurs niveaux de vérité : ce que je ressens, ce que je suis prêt à dire, ce que l’autre est prêt à entendre. Et ce que la relation peut contenir sans s’effondrer.

Ne pas se mentir à soi-même

Là où je place ma boussole, ce n’est pas sur le fait de dire toute la vérité à tout le monde. C’est : est-ce que je me mens à moi-même ? Est-ce que je joue un rôle qui m’éloigne de qui je suis ? Est-ce que je simplifie ce que je ressens pour rentrer dans un moule — de partenaire rassurant, de personne « safe », de figure idéale du polyamoureux éthique ?

Quand je m’allonge sur le divan, comme le raconte Pépin, je me redresse intérieurement. Parce que j’ose voir mes contradictions. Et ça, c’est un préalable indispensable à toute relation qui se veut honnête. L’honnêteté radicale commence par l’intérieur.

Respecter l’autre, même quand on tait des choses

Un autre axe fondamental : le respect. Je peux parfois taire une vérité. Mais est-ce que je le fais en me prenant pour Dieu, en pensant savoir ce qui est bon pour l’autre à sa place ? Ou est-ce que je le fais parce que je sens, dans l’instant, que ce n’est ni le moment, ni le lieu, et que je ne veux pas lui imposer ma tempête ?

Un bon mensonge — s’il en existe — est peut-être celui qui respecte l’autonomie de l’autre. Un mauvais, c’est celui qui l’utilise comme un moyen pour s’éviter soi-même.

Deux boussoles dans le flou

Dans un monde où la morale ne suffit pas — trop rigide, trop catégorique —, je propose, comme Pépin, deux boussoles pour les relations :

  1. Est-ce que je respecte l’autre dans ce que je dis ou ne dis pas ?
  2. Est-ce que je suis honnête avec moi-même, ou suis-je en train de me planquer ?

Entre ces deux pôles, il y a de la place pour l’erreur, pour le silence, pour les mots maladroits. Mais il y a aussi de la place pour une éthique vivante. Pas une morale de fer, mais une éthique du lien.

En guise de mot de la fin

Alors non, je ne prône pas une vérité nue, brutale, lancée comme un couperet. Et je ne diabolise pas le mensonge non plus. Ce que j’explore, dans mon métier, dans mes relations, dans mes propres contradictions, c’est un espace entre les deux : l’honnêteté incarnée. Celle qui ne cherche pas à dire tout, mais à dire vrai.

Pas besoin de tout montrer pour mieux aimer !